De mon point de vue, tout cela est une bonne manière de remettre les choses à plats, de faire un bon nombre de rappels sur la série bien sûr mais surtout de faire le point avant la sortie de BH5, qui devrait éclaircir pas mal de zones d’ombre. J’avais réellement l’envie d’essayer ce genre d’analyses et de spéculations avant la sortie du jeu, et j’ai l’impression que c’est le moment ou jamais. J’espère que vous me pardonnerez mon style insipide à lire, mes quelques répétitions aussi bien que le caractère parfois assez brouillon de mes réflexions (surtout vu l’ampleur qu’a fini par prendre mon message), qui ne sont évidemment pas définitives mais qui appellent à être complétées ou rectifiées, et ce même avant la sortie de BH5. Pour ceux qui abhorrent les spéculations où l’on enchaîne hypothèses sur hypothèses, nous sommes en plein dedans, alors passez votre chemin ou bien venez rigoler un bon coup, comme vous le sentez. Gardez toutefois bien en tête lorsque vous lirez ce topic qu’au fond, je ne demande à personne de partager complètement mon interprétation du scénario, car peut-être suis-je totalement éloigné de la vérité, mais ce que je cherche surtout à faire comprendre et à justifier du mieux que j’en suis capable, c’est que les différents épisodes autorisent selon moi la vision des choses qui est pour l’instant la mienne. Il me tarde vivement de voir quelle allure vont prendre les choses avec BH5, afin de démêler une fois pour toutes le vrai du faux. Pour tous ceux qui ne se seraient rien spoilés sur BH5 dernièrement, j’y ferais assez peu référence et à chaque fois sous la balise « spoilers », la seule chose qu’il vous faudrait éviter étant en fait la dernière partie sur Wesker. Autrement, tout ce qui concerne les spoilers sur BH5 sera nettement isolé, le sujet restant en large part une analyse de BHUC comme je l’ai indiqué. Après, si vous ne voulez vraiment et strictement rien savoir de BH5, même vaguement (je doute qu’il y ait des personnes dans ce cas mais sait-on jamais), le mieux serait peut-être encore évidemment de ne pas lire le topic du tout.
En dernière remarque, je signale que mon post contient quelques références ainsi que de très brefs exposés en rapport avec la sélection naturelle et quelques théories de l’évolution, notamment celle de Darwin, la théorie de la Reine Rouge ou encore les théories de Herbert Spencer. Bien évidemment, mais je crois qu’il est tout de même nécessaire de l’exprimer clairement, il ne s’agit pas d’analyser ces doctrines ni même de les restituer dans leur exactitude : les développeurs ont pu s’en inspirer je pense, mais ce qui importe n’est pas l’essence de toutes ces théories, simplement leur image véhiculée dans l’inconscient collectif si je peux le dire ainsi, l’image que tout le monde et n’importe qui s’en fait dans leurs traits les plus grossiers et les plus significatifs, et donc aussi les scénaristes de chez Capcom. Je reste parfaitement conscient que Biohazard est avant tout une série B, dont le scénario n’est ni très vraisemblable ni très profond, mais je pense aussi que le thème du surhomme est en lui-même devenu assez classique dans les œuvres de fiction pour pouvoir se faire une place ici.
- Une conception nazie du surhomme dans BHCV
- La présence d’un char Tigre allemand dans le centre militaire de formation.
- Les pistolets Lugers, d’origine allemande et qui ont connus un énorme succès lors de la Seconde Guerre Mondiale (même s’ils ont été créés avant).
- Le baraquement des prisonniers, qui fait spontanément songer à des camps de concentration.
- Les expériences du médecin légiste, en écho aux expériences douteuses que pratiquaient certains médecins nazis sur des prisonniers.
- Alfred et Alexia Ashford qui sont de type aryen, blonds aux yeux bleus, et qui sont nés artificiellement dans le cadre d’un projet à visée clairement eugéniste, étant donné qu’Alexander a isolé le gène qui conditionne l’intelligence humaine, puis l’a poussé au maximum de ses possibilités pour donner naissance aux jumeaux. Pour rappel, ces derniers devaient à l’origine posséder des noms allemands, et s’appeler Hilbert et Hilda Krueger, ce qui nous prouve combien les développeurs avaient des idées bien précises concernant le scénario du jeu, même s’ils n’ont pas su aller jusqu’au bout de leur pensée. Cela a d’ailleurs quelques répercussions négatives sur l’ambiance générale du jeu, dont on a l’impression qu’il se cherche un peu un style, car même si l’ombre de l’Allemagne nazie plane durant toute la partie, on nous présente les Ashford et Spencer comme membres de l’aristocratie britannique, ce qui donne le sentiment d’un mélange hétérogène assez maladroit.
Maintenant, les références de BHCV étant ce qu’elles sont, considérées ensemble elles pointent directement vers le nazisme. En conséquence, le personnage même d’Alexia et son objectif dans le jeu ne peuvent à leur tour que faire référence à l’idée du surhomme (intrinsèquement liée au nazisme) et de l’avènement d’une race supérieure d’êtres humains. Veronica est la figure emblématique d’un être supérieur de race pure, à la beauté et à l’intelligence légendaires, et Alexia en est en quelque sorte la réincarnation : elle est le fruit de l’eugénisme d’Alexander, donc suivant l’étymologie du mot Alexia est bien née, elle est littéralement un génie, dotée des meilleures capacités dont puissent êtres pourvus les êtres humains, une beauté et une intelligence hors normes en l’occurrence, c’est-à-dire des caractères physiques et intellectuels portés artificiellement à leur degré le plus éminent. De son vivant, Alexia représente l’être qui s’est élevé au stade le plus parfait de l’humain, et l’injection du virus T-Veronica ainsi que son incubation cryogénique symbolisent alors le passage de l’humain vers le surhumain. La transition s’achève au réveil d’Alexia, et l’une des caractéristiques notables de sa surhumanité est principalement, avant même toute métamorphose effective qui n’est peut-être que secondaire finalement, une sorte de « méta-conscience » : d’une façon ou d’une autre, Alexia est en effet capable de projeter son esprit au-delà de son propre corps, puisqu’elle contrôle à distance les tentacules que l’on aperçoit dans le jeu et qui sont comme une extension d’elle-même, de son propre corps, et par ailleurs nous sommes en droit de supposer qu’elle a pu d’elle-même ouvrir sa propre capsule en ressentant la mort imminente de son frère. A ce titre, l’interprétation du personnage d’Alexia par S.D. Perry dans son roman n’est donc pas tout à fait illégitime, elle se base réellement sur des éléments concrets du jeu. La renaissance d’Alexia était également censée marquer l’origine et l’avènement d’une ère nouvelle pour l’humanité, car elle projetait en effet de répandre son virus sur la terre entière, donc de faire évoluer l’humanité entière vers un stade qu’elle jugeait supérieur, visiblement ancré dans un écosystème où s’équilibreraient harmonieusement l’humain, l’animal et le végétal.
- La surhumanité telle qu’envisagée par Spencer
Comme je le disais dans le topic sur BH5, les révélations qu’apporte Sergei à la fin de Dark Legacy sont tout à fait intéressantes, et elles poursuivent aussi l’idée déjà présente dans BHCV, à savoir celle d’instaurer une nouvelle espèce d’hommes, des surhommes, ou de purifier le monde : « The Tyrants are my brothers, and my brothers and I will issue in a new era for all mankind ». Sur ce point, je préviens que je vais reprendre en partie les messages que j’ai déjà rédigés dans le topic sur BH5, mais pour ensuite essayer de mieux développer mon propos. Selon moi, et d’après les propos tenus par Sergei, l’objectif de celui-ci était d’anéantir la race humaine telle qu’elle existe actuellement, ou plus exactement de transformer l’humanité afin que naisse une nouvelle race d’hommes, des surhommes-Tyrants en quelque sorte, c’est-à-dire des êtres humains rendus plus puissants grâce au virus-T avec lequel ils pourraient cohabiter. Par Tyrants il faut ici entendre des êtres humains génétiquement modifiés par le virus-T mais qui conserveraient bien cependant leur intelligence et toutes leurs capacités cérébrales à l’instar de Sergei, et pas simplement les Tyrants stupides que l’on combat à plusieurs reprises et qui sont juste à même d’obéir à des ordres primaires préprogrammés. Si le but de Sergei est bien tel que l’on dit, tout porterait à croire qu’il s’agit aussi et avant tout de celui de Spencer, puisque Sergei nous est présenté comme quelqu’un lui vouant une loyauté sans commune mesure et veillant constamment à satisfaire ses désirs, même les plus extrêmes. Je vois très mal Sergei mettre au point ses projets personnels concernant la face du monde indépendamment de Spencer, donc d’une façon ou d’une autre, les paroles que tient Sergei à la fin de Dark Legacy doivent pouvoir tout aussi bien se référer à lui qu’à Spencer.
Le plan de Spencer s’inscrirait donc dans une logique évolutionniste qui devrait aboutir à la formation d’une nouvelle espèce, son désir serait d’opérer une sélection parmi les hommes afin de préserver les meilleurs d‘entre eux. On aurait donc affaire ici à une certaine conception de la théorie de l’évolution par sélection naturelle. Cette théorie a été exposée par Darwin, je m’appuierai dessus pour expliquer comment j’imagine quelle pourrait être la vision du monde selon Spencer dans Biohazard.
- Théorie de l’évolution par sélection naturelle :
La sélection naturelle est définie par Darwin comme la conservation chez les êtres vivants des variations avantageuses, et l’élimination des variations désavantageuses ou nuisibles. Les êtres vivants existent selon Darwin dans le cadre d’une lutte générale pour la vie, car il y a plus d’êtres vivants que de places à occuper dans un environnement donné ou sur la Terre globalement, en raison par exemple du fait que le nombre de ressources disponibles est limité. Dès lors, s’il arrive que certains individus soient favorisés par une variation phénotypique qui les différencierait des autres individus de la même espèce, les individus favorisés auront plus de chances de subsister et de laisser des descendants que leurs concurrents. Par accumulation des variations qui se transmettent héréditairement et sur une échelle de temps considérable, de nouvelles espèces viennent ainsi à naître.
Ici, il est légitime de poser une interrogation qui pourrait remettre en doute cette vision des choses. En effet, la mutation de Sergei avec conservation de toutes ses facultés intellectuelles est-elle bien une mutation spontanée, suite à la seule injection du virus-T, ou parvenir à ce résultat a-t-il dû au contraire nécessiter quelques expérimentations ? Dans le cas de la deuxième alternative, répandre le virus-T à l’état brut ne garantirait aucun résultat positif, et rendrait l’hypothèse d’une pandémie mondiale désirée par Spencer assez bancale. Néanmoins, de réels indices donnent selon moi à penser que la mutation « positive » (avec sauvegarde de l’intelligence) de Sergei est spontanée/naturelle et non artificiellement menée grâce à des expériences, à commencer par le fait que la personnalité de l’hôte jouerait un rôle décisif dans le processus de métamorphose. C’était une assez bonne idée de la part des scénaristes d’introduire cette explication, et l’on connaît déjà au moins un cas tout à fait net où le caractère de l’hôte influe directement sur la forme qu’il prend suite à l’injection du virus, celui de Morpheus. Même si celui-ci ne s’injecte pas simplement du virus-T (mais une fusion T/G), il n’est pas inapproprié d’établir un parallèle entre Sergei et lui. Morpheus était obsédé par la beauté et par son apparence physique, or suite à l’injection du virus, il finit par muter en une sorte de Tyrant hermaphrodite, qui présente tout du moins des caractères très nettement féminins. Nous sommes en droit d’affirmer, avec les éléments de BHUC, que son idéal de la beauté ainsi que son caractère raffiné ont essentiellement fait de Morpheus ce qu’il est devenu suite à l’injection du virus, or muter ne l’a pas empêché de conserver toute son intelligence ni même la faculté de parler, exactement comme Sergei, dont la mutation s’est également opérée en fonction de sa personnalité. Eu égard à ces ressemblances frappantes, et puisque l’on constate que dans le cas de Morpheus la transformation s’est effectuée de manière spontanée, seulement par l’injection du virus, on peut penser qu’il en fût de même pour Sergei, et donc que tous les individus génétiquement prêts à recevoir la forme du Tyrant muteraient de façon semblable après infection. Cela ne suppose même pas forcément que Morpheus fasse également partie des 1 sur 100 000 000, dans la mesure où la fusion du T avec le virus-G aurait pu faire balancer les statistiques, et même si l’on devait émettre une telle hypothèse, elle n’aurait rien d’incohérente. La seule différence notable avec Sergei est que Morpheus finit par muter en gros blob après avoir encaissé trop de blessures, mais je pense surtout qu’il mute ainsi à cause de l’influence du virus-G, tandis que la première mutation est avant tout celle du T, en fonction de la personnalité de l’hôte si l’on suit BHUC.
Cette idée que la personnalité organise le cours de la transformation, et qu’elle puisse donc interagir avec le virus, semble à mon avis dérivée de BH4, et du phénomène que l’on peut constater avec Las Plagas. Dans l’une de ses notes, Saddler explique en effet qu’il lui faut bien choisir ses lieutenants s’il ne veut pas commettre la même erreur qu’avec Luis, qu’il a besoin d’hommes qui lui resteront assurément loyaux. En outre, il laisse indubitablement entendre que la personnalité de l’hôte peut avoir une influence sur la mutation : « I must choose wisely; for the Plaga reflects the conscience of their hosts. If chosen poorly, they could betray me ». Il n’indique pas clairement en quoi a consisté son erreur vis-à-vis de Luis, ni même comment ce dernier est parvenu concrètement à se débarrasser du parasite, mais pourquoi ne pas s’imaginer qu’il a réussi à s’en défaire essentiellement par volonté, que l’opération chirurgicale ne suffisait pas en tous les cas ? L’esprit, la personnalité ou la volonté de l’hôte (j’emploierai ces termes comme à peu près synonymes pour simplifier), même si elle ne suffit pas, pourrait bien néanmoins être déterminante et nécessaire pour amener ou bien l’assimilation ou bien le rejet du parasite, et personnellement c’est ainsi que je conçois les choses. Éliminer le parasite de son corps avec la machine est risqué, on peut en mourir affirme clairement Luis : de mon point de vue la mort ne surviendrait que si la personnalité de l’hôte n’est pas assez forte, c’est-à-dire s’il n’a pas la volonté ferme et irrévocable d’irradier le parasite de son corps, de s’en débarrasser une bonne fois pour toutes définitivement. Inversement, je suis persuadé que l’on ne peut cohabiter avec le parasite que si sommeille en nous un désir virulent de l’assimiler et d’obtenir du pouvoir, en l’occurrence son pouvoir. Autrement dit, il faut désirer intensément le pouvoir de Las Plagas pour réussir à le dominer et à garder le contrôle sur le parasite, de telle sorte à s’unir réellement avec lui : le parasite se plie alors à vous, à votre volonté, à votre conscience, à votre personnalité, et non l’inverse. Hormis Saddler, seuls Salazar et Mendez auront pleinement rempli cette condition, et c’est pourquoi ils ne sont pas de simples ganados, parce que leur volonté de puissance a été suffisamment ferme pour dominer le parasite, qui ainsi reflète la forme de l’être personnel de son hôte. Le moment clef est évidemment celui où Salazar dit clairement à Leon qu’il possède un contrôle absolu sur le parasite, et que c’est par cela qu’il diffère des simples ganados : « Surely you don't think I'm the same as those dimunitive Ganados. The parasites, Las Plagas are slaves to my will. I have absolute control ». Donc les transformations de Salazar, de Mendez et de Saddler sont également le reflet de leur personnalité si l’on suit cette voie, parce que leur parasite s’est plié à eux. Les villageois ont été infectés en majeure partie contre leur gré, leur conscience s’est donc totalement trouvée annihilée par le parasite, qui a pris le dessus mais qui n’a pu en revanche se développer pleinement. On peut voir qu’il existe trois types de Plagas dans le jeu, plus ou moins puissants, le type 1 étant celui des villageois, les type 2 et 3 étant au contraire ceux des Illuminados. Ces différents types reflètent différents stades de la croissance du parasite, or ce que je pense, c’est que le parasite se nourrit avant tout à partir de la personnalité de l’hôte, et plus exactement à partir de son désir de pouvoir, désir qui doit naturellement faire le lien entre l’hôte et le parasite si le désir de pouvoir est par nature lié au pouvoir. Les Illuminados, dont le culte vénère Las Plagas, ne pouvaient donc qu’être une source nutritive meilleure pour le parasite et développer un parasite plus puissant que ceux des pauvres villageois. Mais les moines n’ayant pas un désir de pouvoir aussi fort que celui de Mendez ou de Salazar, leurs parasites obéissent à la volonté extérieure des plus puissants (les parasites communiquent entre eux rappelons-le), et ultimement à la volonté de Saddler, qui est le véritable maître en ce qu’il possède la volonté de puissance la plus intense. Sa volonté se diffuse à travers l’ensemble des parasites, aussi Saddler possède t-il le contrôle sur tous les êtres vivants parasités. Pour résumer, une personnalité forte et une volonté ferme, une grande force d’âme si l’on simplifie, permet de garder une certaine autonomie par rapport au parasite : avec un fort désir de le contrôler et d’acquérir son pouvoir, le parasite se soumet à notre volonté, et la mutation s’opère en fonction de la personnalité de l’hôte.
C’est ainsi que je concevais BH4 avant la sortie de BHUC, donc je suis tout à fait certain que BHUC hérite de BH4 le fait que la personnalité de l’hôte peut influencer le cours de la mutation. Il s’agit en mon sens d’une tentative d’unification de la série relativement bien pensé. Cela permet par exemple de justifier le fait que Steve parvienne à dominer le virus et à recouvrir son humanité avant de mourir, tout comme le fait que Jill parvienne à éliminer le virus-T de son organisme, car je pense que comme pour BH4, on pourra ainsi dire que le vaccin ne suffisait pas et que la disposition d’esprit de la personne infectée face au virus a aussi son rôle nécessaire à jouer dans le processus de guérison.
Il y aurait un lien entre tout cela et l’objectif de purification de la race humaine désiré par Spencer si vous voulez mon avis : ceux qui devront survivre et devenir les hommes d’un monde nouveau, meilleur, ne seront pas seulement ceux qui possèdent un corps génétiquement supérieur (apte à recevoir la forme du Tyrant), ce seront en outre ceux qui seront les plus forts psychologiquement, c’est-à-dire ceux dont la force d’âme sera suffisamment grande pour résister au virus et cohabiter avec lui. Ceux qui n’auront pas cette force psychique ou bien mourront ou bien finiront par régresser vers le stade de zombie j’imagine. Il faut donc le corps et l’esprit adéquats, autrement dit un esprit sain dans un corps sain si vous voyez l’allusion, encore une idée assez nazie quand elle est poussée à fond.
Pour résumer, Spencer veut selon moi opérer une sélection en vue de préserver les individus les plus purs d’un point de vue à la fois corporel et psychique. La race pure est d’abord celle des individus dont le code génétique est apte à recevoir la forme du Tyrant, face à l’environnement hostile créé artificiellement et qui est celui contaminé par le virus-T. Ce virus sert à purifier l’humanité, il est ici l’agent de la sélection naturelle qui éliminera les êtres inférieurs. Mais les plus aptes à survivre seront ceux qui, outre leur code génétique adéquat, supérieur et pur, auront la force d’âme nécessaire pour supporter le virus et cohabiter avec lui, car c’est la volonté, la personnalité de l’hôte qui joue un rôle décisif dans le processus de transformation. Donc seuls les individus forts de corps et d’âme évolueront vers le surhomme, le reste de l’humanité devra périr. Voilà ce qui, d’après moi, serait à peu près la vision des choses selon Spencer, vision qui correspond dans son idée à une finalité inhérente à la nature elle-même, à l’idée d’une nature harmonieuse et bien ordonnée en soi.
Je vous renvoie cette fois à Herbert Spencer, l’inventeur du darwinisme social, sorte d’application selon lui de la théorie de la sélection naturelle aux sociétés humaines, et qui prône l’idée eugéniste suivant laquelle on devrait laisser les faibles ou les pauvres mourir, puisque c’est la marche de la nature qui le veut ainsi. Historiquement, le darwinisme social a même servi à justifier scientifiquement des idéologies ou conceptions politiques d’après lesquelles seule une élite devrait dominer. Cela est intéressant pour notre propos, et Herbert Spencer voit effectivement dans l’évolution une marche naturelle guidée vers un progrès. Ce que je voulais surtout souligner néanmoins, c’est que pour Herbert Spencer, le monde tend naturellement vers un progrès dont la loi de l’évolution s’applique à toute réalité. La conception du monde selon lui est en gros la suivante : la nature forme d’abord un tout homogène, et progressivement la nature tend vers plus d’hétérogénéité, vers plus de complexité. D’après moi, cela collerait tout à fait bien au dessein que je suppose être celui de Spencer : dans Biohazard, le plus d’hétérogénéité et de complexité se marquerait par la diversité des caractères qui doivent théoriquement amener à une multiplicité de transformations pour les contaminés. Le virus-T serait l’agent qui amènerait le monde à se diversifier et se complexifier toujours plus, car les mutations qu’il engendre seraient toutes nouvelles, de nature différente, aussi hétérogènes et diversifiées qu’il existe une infinité de personnalités chez les êtres humains.
Et pour clôturer le parallèle avec le nazisme, on pourrait même rapprocher Spencer de Hitler, en disant que tout comme Hitler n’avait rien du type arien, Spencer lui-même n’a rien du Tyrant et du surhomme, qu’il n’est même pas génétiquement pur selon sa conception.
- Les rapports entre Spencer, Umbrella, Sergei et la Reine Rouge
Comme je viens de le dire, Spencer a pu prendre de la distance vis-à-vis d’Umbrella après avoir connu Sergei, et en 1998 il est effectivement en désaccord avec la firme. Parmi les révélations scénaristiques de BHUC, l’une des plus notables concerne bien Spencer et le rapport qu’il entretient avec sa propre société, puisque Spencer et Sergei apparaissent en désaccord avec ce que l’on pourrait appeler le conseil administratif d’Umbrella. Il est clair que Spencer lui-même est en dissidence avec Umbrella : il vole le prototype de T.A.L.O.S. ainsi que l’U.M.F.-013 par l’intermédiaire de Sergei, alors qu’il en avait été décidé tout autrement. Spencer a donc bien en tête des projets qui diffèrent de ceux de la majorité des dirigeants d’Umbrella, ce qui signifie qu’il a dû prendre du recul par rapport à l’objectif originel de la société, lequel était, si l’on suit BHCV et le mémo d’Alexander, quelque chose de relatif à la guerre, à un usage militaire du virus et des B.O.W. : « My father, Edward, discovered the mother virus in cooperation with Lord Spencer, who was also a nobleman. They studied it for the purpose of military use ». Dans son journal, Marcus nous décrit également Spencer comme un homme uniquement attiré par l’argent et le profit : « He thinks of “Progenitor” as nothing more than a money-spinning tool. Fool! », ce que conteste radicalement Wesker par la suite dans son rapport : « If manufactured for use in conjunction with an orthodox weapon, it would have made a handsome profit. But to keep the research going to make a stand-alone, exterminatory weapon did not make business sense. Why did he continue ignoring the cost? ». Tout cela pourrait faire signe vers une évolution des objectifs de Spencer. Sans doute qu’au départ, notre homme ne cherchait que l’enrichissement personnel à travers le commerce d’armes biologiques dans le cadre des guerres à venir, commerce qu’entreprend effectivement la société Umbrella si l’on suit BH3 et BHUC, mais que les années passant, il s’est élevé vers des considérations d’ordre supérieur, vers un but éminemment plus élevé et plus audacieux, en accord avec ce qu’il pensait être vrai et juste, là où les dirigeants d’Umbrella auraient quant à eux fini par s’enliser dans un cycle commercial insensé, cycle morbide incarné par Sergei lui-même et dans lequel la société n’aurait plus aucun objectif réel qui l’anime.
Sergei est un personnage assez ambigu mais en même temps intéressant, en ce qu’il représente à la fois Umbrella et Spencer. Parce que Sergei prend toujours le parti de Spencer, qu’il pense et agit en grande partie comme il le ferait, il est bien sûr son représentant direct, mais en un autre sens, Sergei incarne tout aussi bien la société Umbrella elle-même et sa décadence.
Sergei est avant tout un guerrier, un homme qui aime se sentir vivant et qui apparemment ne se sentait réellement tel que sur le champ de bataille, d’où les remarques qu’il adresse à Chris et Jill lorsqu’ils pénètrent dans la salle de tests : « As fellow soldiers, I’m sure you understand the thrill of battle, and the rush that comes with the feeling of being alive after a good battle ». Après la guerre et la chute de l’Union Soviétique, il est devenu très difficile à Sergei de combler ce besoin pathologique d’éprouver sa propre vitalité, besoin qui va croissant en exigeant des situations toujours de plus en plus périlleuses, et c’est ce qui explique sa pratique addictive d’automutilation : ressentir des douleurs intenses est ce qui permet à Sergei de se sentir vivant, d’éprouver sa force vitale. Comme cela n’est qu’un palliatif, le besoin n’est pas entièrement comblé, et c’est ce qui pousse Sergei à se placer, inconsciemment ou non, dans des situations très dangereuses desquelles il tire un réel plaisir. Nous avons déjà, je trouve, un aperçu de cette prise de risques à la fin de Death’s Door, lorsque Sergei demande à Spencer de manière rhétorique : « You think I’m reckless, don’t you ? ». D’après les documents de BHUC, l’ordinateur a été dérobé par les deux hommes dans le « laboratoire souterrain ». Théoriquement, Sergei a dû voler l’U.M.F.-013 dans le laboratoire de Birkin, puisque « underground laboratory » est un terme qui a toujours désigné ce laboratoire, donc au plus tard Sergei a dû s’en emparer le matin du 30 septembre, vu que le laboratoire explose à cette date, soit un jour avant le bombardement de Raccoon City. Il est facile de supposer que Sergei était à bord de l’hélicoptère qui largue le T-103 dans le commissariat, et qu’il s’agit du même hélicoptère que l’on retrouve dans Death’s Door. Du coup, si Sergei a bien déjà récupéré l’U.M.F.-013 le 30 septembre, on se demande inévitablement ce qu’il fabrique encore à Raccoon City juste avant l’explosion. Peu importe la réponse ici (peut-être qu’il venait chercher Spencer qui se serait trouvé à Raccoon City, ce serait assez étrange mais pas nécessairement impossible), je souligne simplement ce paradoxe pour montrer que tout cela ne nous donne en définitive qu’une seule impression : c’est comme si Sergei avait attendu l’extrême limite avant le bombardement pour quitter la ville, afin d’éprouver des sensations fortes exaltantes. Cette impression que Sergei cherche toujours des situations périlleuses se renouvelle et se confirme lors de la cinématique d’introduction de Dark Legacy, où il semble plutôt amusé de la tournure critique que prennent les événements lorsque l’unité de Chris débarque : « Did you think it would be that easy ? I’ll enjoy this challenge ». Plutôt que de déserter rapidement les lieux, Sergei attend effectivement ses opposants auxquels il souhaite se confronter, car il ne vit que pour le combat et pour se dépasser sans cesse. Cette nature guerrière de Sergei l’oriente donc probablement de façon nécessaire vers une conception de l’homme comme un être devant constamment se dépasser lui-même (à travers le combat), or le surhomme étant le dépassement de l’homme par lui-même, on comprend vite comment Sergei aurait pu se rallier à l’idéologie évolutionniste de Spencer. C’est dans la douleur que l’homme parviendrait à se dépasser pour s’élever vers le surhomme, et la célèbre citation de Nietzsche (à l’origine du concept de surhomme) : « ce qui ne tue pas rend plus fort », colle sur ce point parfaitement à Sergei, lorsqu’on a bien en tête les propos qu’il tient dans son dernier combat l’opposant à Wesker. Tout cela renvoie à Spencer et à son évolutionnisme où seuls les plus forts doivent survivre suite à une lutte interne avec le virus, en ce sens Sergei représente bien Spencer et illustre sa vision du surhomme. Si d’une part Sergei symbolise Spencer, d’autre part il symbolise également Umbrella, et plus précisément la vie artificielle, factice et précaire de la société. Celle-ci est déjà morte depuis 1998, elle se répète dans un cycle insensé et traverse une crise dont elle ne pourra jamais se relever, ainsi les souffrances endurées que matérialise Sergei ne sont-elles que le soubresaut d’une pulsion de mort cherchant vainement à animer une vie qui n’est déjà plus là. J’ai dit ailleurs que le pot-pourri des différentes créatures de BHUC en Russie pouvait trouver un certain rôle, puisqu’il pourrait lui aussi servir à illustrer la crise que traverse Umbrella, condamnée désormais à répéter inlassablement le même cycle, ce qui signifie ici reproduire les mêmes B.O.W. sans jamais pouvoir innover, faute de moyens. On nous présente la base russe comme une sorte d’entrepôt de toutes les recherches effectuées sur les B.O.W. par Umbrella au fil du temps, et Sergei le dit bien à la Reine Rouge, tant que T.A.L.O.S. et elle sont toujours là, ils peuvent tout recommencer : « With you and Talos, we can always strart over ». Dans ce contexte, cela veut dire tout répéter à l’identique, et le bestiaire repris tel quel sans nouveautés serait en quelque sorte le symbole de cette pulsion de mort qui anime Umbrella depuis sa chute (elle tourne en rond). Sergei s’oppose à Wesker d’abord parce que l’un a déserté et trahi Umbrella tandis que l’autre lui est resté fidèle jusqu’au bout, mais aussi et surtout en ceci que Sergei ne fait que répéter Umbrella dans un cycle morbide, tandis que Wesker souhaite la reprendre, c’est-à-dire la refaire mais en mieux, en y apportant de nouveaux éléments, un nouvel objectif, bref une pulsion de vie, un nouveau souffle comme on dit encore.
D’une autre manière, la Reine Rouge donne sens à l’évolution comme s’appliquant à la fois aux individus (Sergei) et aux sociétés (Umbrella), elle est le point de jonction entre tous les personnages, Spencer y compris.
Il est bien entendu que la présence de cet ordinateur est une référence directe au film de Paul Anderson (BHUC pullule de clins d’œil au film), cela dit elle ne joue pas ici nécessairement le même rôle, et pour ceux qui détestent viscéralement le premier film on pourrait même lui trouver un autre fondement. Comme tout le monde sans doute le sait déjà puisque Paul Anderson lui-même l’a avoué, la structure narrative du premier film est essentiellement calquée sur celle d’Alice aux pays des merveilles de Lewis Carroll, d’où les nombreuses références au conte disséminées tout au long du film : Alice, qui se regarde dans le miroir de la salle de bain au début, finit par passer de l’autre côté du miroir mural pour s’aventurer dans un univers souterrain et mystérieux, voyage au cours duquel elle sera amenée à se poser des questions sur elle-même. Tout comme Alice doit son nom au personnage éponyme du conte, l’ordinateur du complexe souterrain d’Umbrella doit également son nom à la Reine Rouge coupeuse de têtes, et rappelez-vous à ce sujet la séquence d’introduction du film dans l’ascenseur, où une personne se fait décapitée. La référence s’arrête certainement là en ce qui concerne le film, mais on peut supposer que tel n’est pas nécessairement le cas en ce qui concerne BHUC, dont on pourrait peut-être rattacher la Reine Rouge à la théorie de l’évolution qui porte son nom.
- Théorie de la Reine Rouge :
Cette théorie a effectivement été baptisée ainsi par Leigh Van Valen à partir du livre de Lewis Carroll, en particulier à partir du passage où Alice et la Reine Rouge s’engagent dans une course effrénée :
- Alice : « Mais, Reine Rouge, c'est étrange, nous courons vite et le paysage autour de nous ne change pas ? »
La Reine Rouge : « Nous courons pour rester à la même place ».
- Alice : « Mais, Reine Rouge, c'est étrange, nous courons vite et le paysage autour de nous ne change pas ? »
Sur la base d’une autre interprétation qui s’insère davantage dans le scénario du jeu, la théorie de la Reine Rouge pourrait servir à illustrer la lutte qui s’engage depuis des années entre Umbrella et ses sociétés rivales. Il y a deux niveaux de sélection, l’individu et la société, et si les individus sont en concurrence dans la lutte pour l’existence, il en est de même concernant les sociétés qui luttent entre elles, en l’occurrence Umbrella et les sociétés pharmaceutiques qui lui font concurrence, car Sergei le dit à Wesker : « All of the pain, the punishments, and the difficulties help to make Umbrella stronger ». De même donc que par la douleur Sergei ou l’individu se rend plus fort, de même il en est pour Umbrella, société soumise elle aussi à la sélection naturelle. Les sociétés pharmaceutiques tendent à se dépasser pour anéantir leurs rivales, et elles le font à travers le développement des B.O.W., des armes virales et des données de combat qu’elles récoltent. C’est pourquoi la Reine Rouge, en étant reliée à T.A.L.O.S., a pour fonction d’accumuler et d’analyser les données de combat : « She linked with Talos, desiring more information and more data », car c’est cela et uniquement cela qui permet à Umbrella de rester en vie et de se maintenir dans la course de l’évolution, sans quoi elle serait totalement anéantie par sa crise financière. Car on peut penser qu’Umbrella ne parvient à surmonter la crise qu’à travers le commerce d’armes biologiques, et que c’est essentiellement pour cette raison que la société s’apprêtait à armer différentes régions du monde, pour générer du profit. La Reine Rouge et T.A.L.O.S., dans leur complémentarité, sont bien ce qui assure la sauvegarde d’Umbrella, ce par quoi tient encore la société en 2003 et ce par quoi elle lutte. Dans la mythologie grecque, Talos est un géant de bronze présenté comme le gardien de la Crète, et dans sa lettre adressée à Sergei, Spencer se réfère effectivement à T.A.L.O.S. en le désignant comme « gardien de la Crète ». La Crète symbolise évidemment Umbrella, dont T.A.L.O.S. est le gardien et même l’ultime rempart, ce pourquoi il est destiné à combattre ceux qui s’attaquent directement à la société, l’unité anti-biohazard de Chris tout comme le gouvernement russe s’il était intervenu plus tôt. En éliminant T.A.L.O.S., Chris et Jill (qui de ce point de vue sont les Argonautes) font donc logiquement tomber Umbrella en même temps que sa seule véritable défense.
Pour finir avec la théorie de la Reine Rouge, vous voyez que dans tous les cas elle implique un dépassement constamment renouvelé des espèces qui doivent toujours se transcender en quelque sorte si elles veulent continuer à se perpétuer, or cette logique de dépassement est bien la logique du concept du surhomme tel qu’on l’entend dans son sens évolutionniste.
A considérer désormais la Reine Rouge en elle-même, elle est d’après Sergei animée par une recherche exclusive de la vérité, à n’importe quel prix : « She wanted to know the truth, no matter how painful that reality may be ». C’est sûrement bien en cela que Sergei se juge comparable à la Reine Rouge : « Her and I have a lot in common ». Relativement à Sergei, la phrase pourrait se comprendre non du point de vue de la connaissance mais du point de vue de la réalisation : pour s’acheminer vers la vérité, qui correspond à la réalité du monde selon Spencer et vers laquelle tend la nature à travers l’évolution, Sergei doit faire des sacrifices (à commencer par celui de ses dix hommes) et supporter des douleurs et des tourments profonds, mais aussi douloureuse que soit la vérité et les sacrifices qu’elle exige pour se réaliser, Sergei est prêt à tout et à tenir bon. Pour lui et suivant Spencer, il nous faut suivre ce que dicte la nature et ne pas s’y opposer, même si cela peut être extrêmement pénible.
Cette interprétation n’est peut-être pas fausse si l’on suit la théorie sur Spencer déjà exposée, mais elle n’est pas la seule possible non plus. En effet, la phrase est avant tout à prendre avec celles qui la précédent : « Her and I have a lot in common. She linked with Talos, desiring more information and more data. She wanted to know the truth, no matter how painful that reality may be ». Considérées ensemble, elles donnent la nette impression que la Reine Rouge cherche à découvrir la vérité à travers T.A.L.O.S., dans les affrontements que mène la créature. Quand Sergei nous dit combien la Reine Rouge est en quête de la vérité, l’écran nous montre également Chris et Jill en train de combattre T.A.L.O.S., comme si c’était en analysant les données de combat que l’on trouverait la vérité. Puisqu’il est assez clair, et c’est confirmé par la remarque de Wesker, que Sergei projette ses propres intentions sur la Reine Rouge, ce qui transparaîtrait ici ne serait rien d’autre en réalité que le désir et même les doutes de Sergei. On peut se dire que celui-ci pourrait bien avoir quelques réserves vis-à-vis de l’idéologie de Spencer, qu’il n’est pas totalement persuadé que sa vision du monde corresponde substantiellement à la vérité, et donc qu’il se pose certaines interrogations pour lesquelles il souhaiterait obtenir une réponse, pour savoir si Spencer a raison, si l’avenir est bien celui des surhommes-Tyrants, etc. Et c’est en faisant combattre le Tyrant avec les êtres humains actuels qu’on obtiendra la vérité d’une certaine manière, c’est comme si la vérité se jouait pour Sergei dans la bataille en Russie, vérité qu’il apprendra à ses dépends. Quelque part, cela a déjà dû être comme un choc pour Sergei de voir T.A.L.O.S. s’effondrer sous les coups de Chris et de Jill. Même s’il est un Tyrant de race impure, T.A.L.O.S. n’en reste pas moins le modèle de perfection de cette race, la concrétisation ultime du projet d’Umbrella qui visait à fournir le corps (la force) et l’intelligence séparément afin de créer une arme biologique irréprochable dans leur union. Cette association du Tyrant avec l’intelligence artificielle de la Reine Rouge était considérée comme une réussite, donc voir la créature tomber et devenir incontrôlable a pu ébranler les convictions de Sergei. D’ailleurs, lorsqu’il constate que T.A.L.O.S. est hors de contrôle, au point que même un Dieu ne pourrait plus le contrôler, peut-être qu’il fait indirectement référence à Spencer à travers le terme de Dieu (si l’on considère que Sergei adule Spencer comme on le ferait envers une divinité), et que sa foi en lui commence déjà à vaciller quelque peu. Suivant cette idée, clamer haut et fort devant Wesker lorsqu’il le combat que ses convictions sont aussi fermes et inébranlables que jamais est peut-être bien le signe que justement Sergei est en plein doute, puisque justement il ressent le besoin d’affirmer impérieusement ses convictions, comme si cela n’était plus une évidence pour lui. En finissant à genoux face à Wesker, ce serait donc comme si Sergei s’inclinait devant lui, reconnaissant non sans mauvaise foi sa défaite à la fois dans le combat et dans ses conceptions, comme s’il réalisait avoir eu tort sur toute la ligne depuis le début en suivant Spencer dans son idéologie.
Cette même idéologie, la vision du monde d’après Spencer, se trouverait en mon sens également reflétée à travers la relation qu’entretient Sergei vis-à-vis de la Reine Rouge. Cet ordinateur, c’est l’artifice qui prend l’apparence de la nature, car Sergei agit comme s’il croyait réellement que la Reine Rouge était un être vivant naturel doté d’une réelle conscience, là où elle n’est qu’un outil artificiel créé de toutes pièces pour les besoins d’Umbrella, comme le rappelle Wesker : « That thing is merely a tool. What it wants is something the user detremines for it ». A elle seule, la Reine Rouge symboliserait d’après moi toute l’ambition et la conviction de Spencer, qui voit dans l’évolution qu’il a conçu pour l’humanité quelque chose de tout à fait en accord avec la nature, comme si la nature était réellement finalisée en soi, comme si l’évolution poursuivait un cours nécessaire guidé par la nature, et vers une fin déjà écrite par une forme de providence naturelle, fin dont Spencer serait persuadé qu’il s’approche avec son projet comme je l’ai déjà évoqué. Autrement dit, à l’image de la Reine Rouge qui est un artifice donnant l’illusion de quelque chose de naturel, ou encore à l’image de Sergei qui voit en cet ordinateur un être de nature là où elle n’est qu’un produit de l’art, Spencer s’imagine une finalité réelle dans la nature et un plan qu’il croit en conformité avec l’ordre naturel des choses, là où son objectif évolutionniste n’est rien d’autre qu’une vision humaine des choses, totalement étrangère à la nature. Selon moi, la différence essentielle entre Spencer et Wesker résiderait en cela, que l’un s’imagine une finalité dans la nature là où l’autre est bien conscient qu’il n’existe rien de tel. A ce propos, je vous renvoie aussi à la remarque de Sergei sur l’histoire : « The people who go down in history as its heroes are never stable », où il parle juste des figurants de l’histoire comme s’il s’agissait d’acteurs qui joueraient une scène déjà écrite, or il parle ainsi de l’histoire devant Spencer, car il sait que c’est de cette façon que celui-ci conçoit les choses. Les propos de Sergei tiennent moins à lui qu’à Spencer dans ce cas-là, et cette boutade est une manière pour Sergei de justifier sa conduite devant Spencer : ce dernier lui « reproche » d’être instable dans la cinématique, ce que veut dire Sergei est donc que pourtant, s’il l’on suit sa conception des choses, Spencer devrait se réjouir de ce trait de caractère. Cette vision historique des choses expliquerait l’ultime phrase de Wesker dans l’épilogue de BHUC : « Then you will learn of the history… I will write for this world ». Pour Wesker et contre Spencer, ce n’est pas la nature qui écrit ou qui aurait déjà écrit l’histoire, mais l’homme, et même simplement une poignée d’hommes, lesquels en écrivant l’histoire peuvent contrôler et diriger le monde entier.
Entre parenthèses, il est tout de même fort regrettable que la partie exclusive de BHUC ait dû être inévitablement raccourcie, malheureusement je crois qu’il nous faut prendre tout le scénario en Russie pour ce qu’il doit être, à savoir le résumé d’un jeu qu’on aurait éventuellement pu avoir, si la série principale n’avait pas pris la direction qui l’a amené à devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Le manga nous donne un aperçu de ce jeu potentiel d’une certaine manière, et tente d’étoffer un scénario assez lacunaire. Faute de n’avoir pas complètement la version réelle de l’histoire, les éléments scénaristiques ont dû être comprimés et dispersés de manière allusive un peu partout, ce qui nous pousse à élaborer différentes hypothèses pour unifier l’ensemble.